Le jeu des possibles

J’aime à trouver des pièces de puzzle. Je les ramasse lorsque marchant j’en croise.

Des bouts d’un truc bien pensé, mais là quoi penser de ces bouts esseulés ? Je me demande toujours : comment perd-on un bout de puzzle dans la rue ? Sort-on avec un puzzle sous le bras pour aller prendre le train ? Ou sont-ce seulement quelques pièces difficiles, que n’ayant pu intégrer à l’image, on aurait jeté dans sa poche, y faisant tourner entre ses doigts ces mystérieuses bribes comme d’autres mystiques font tourner les chapelets ? Ces tout petits bouts perdus qui sans doute percent par absence la surface opaque de la grande configuration à laquelle ils étaient destinés.

Ma peinture serait comme une union de ces découpes : un paysage se lève dans un bout de visage, et sur l’étendue d’une mer paissent des cyclopes brouteurs d’étoiles.

Forêts profondes de surfaces en coulures, ruisseaux chromatiques où se baignent des oiseaux de mots .

L’ imagier d’une planète  mi-béton mi-jungle, aux dimensions liées les unes dans les autres.

Nous traversons un âge qui ne prend plus le temps d’être, d’être là, uniquement là, en contemplation, en perception. Nous sommes à un âge qui déborde en toute chose, et où l’apparence et l’immédiateté prévalent sur la profondeur de l’être et de la réflexion. Cette étude picturale, utilise la densité de notre époque, ce langage grouillant- comme “le matériel” trop produit, trop mis en avant ; et elle invite la regardeuse, le regardeur, à reprendre la mesure, à ralentir son tempo pour plonger progressivement dans un univers composé de diverses couches imbriquées.